Une cigale nommée Jenny
Née à Boulogne en 1808, Jenny Colon a été une artiste de talent au début du XIXè siècle. Elle est décédée à l’âge de 34 ans, ayant consumé sa vie d’aventure en aventure


« Le teint blanc et délicat, le front large, plein, bombé, le nez fin et mince, prunelle brune, bouche pure, ovale des joues, fossette sur le menton, cheveux d’un blond positif avec des effets fauves… », tel est le joli portrait brossé en 1837 par Théophile Gautier, de la jeune cantatrice boulonnaise Jenny Colon. Jenny a alors 29 ans et est au faîte de sa gloire parisienne.
Selon l’expression d’H. Réveillez, Jenny est une enfant de la balle. Elle est née à Boulogne en 1808, de parents comédiens et « artistes lyriques » peu aisés, porte le prénom de Marguerite, qu’elle troquera pour celui de Jenny, plus à la mode, à la suite de l’actrice Jenny Vertpré. Le père, Jean, vient de Nevers ou Bordeaux, la mère Marie-Anne Dejan Leroy a vu le jour à Bourges. L’enquête récente de V. Delpierre détermine qu’ils ont eu un petit Louis en 1804, puis à Saint-Quentin, en 1807, une fille qui porte le patronyme de sa mère, nommée Augustine, dite aussi Élisabeth ou Éléonore. On peut ajouter un autre Louis né en 1821 à Boulogne, le premier ayant sans doute péri. La famille fait partie de la troupe boulonnaise qui devient régulière en 1824, mais aucun programme conservé ne les mentionne.
Jean et Marie-Anne ont naturellement mis en scène leurs enfants, en particulier les filles grimpées sur les planches avant leurs quatorze ans. En mai 1822, elles jouent avec leur mère dans les Petits Savoyards au théâtre Feydeau de Paris, si joliment qu’Éléonore est embauchée sur place et que Jenny l’est au Vaudeville. Celle-ci passe ensuite au théâtre des Variétés, au Gymnase, à l’Opéra-comique. Elle est reine partout où elle joue, à Rouen, à Bordeaux, à Bruxelles…
Une délicieuse soprano
Au début, elle est plébiscitée pour sa fraîcheur, pour son physique et son jeu de scène. Elle travaille ensuite sa voix et devient une délicieuse soprano que la critique est unanime à louer.
Jenny collectionne les conquêtes et les maladresses. Dans la société mondaine des années 1820, les très jeunes actrices tiennent le haut du pavé. Leur vie tumultueuse fait la une des journaux et passionne Balzac. À 20 ans, encore mineure, Jenny signe si facilement des obligations qu’il faut que sa mère la défende au tribunal. Un an après, selon E. Manne, « l’habitude de se marier tous les soirs fictivement lui donne l’idée de se marier pour de bon », et Jenny épouse l’acteur Pierre-Chéri Lafont. Leur union dure 8 jours. Elle se mariera dix ans plus tard au flûtiste Louis-Marie Leplus. Jenny fréquente les salons mondains et laisse les rivaux se battre pour elle, ainsi le financier William Hope et le poète Gérard de Nerval qui sombrera dans la folie, laissant des lettres destinées à la femme aimée.
Jenny a eu un enfant au moins et a, selon le Figaro de l’époque, plusieurs fois cherché une Lucine (faiseuse d’anges). Elle consume sa vie, d’aventure en aventure, de théâtre en théâtre. Malgré les mises en garde de ses médecins, elle s’éteindra d’épuisement en 1842, à l’âge de 34 ans. Aucune rue de Boulogne ne porte son nom, mais les Archives ont heureusement signalé notre Jenny parmi les Boulonnaises de talent.