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Louvre-Lens : l’homme dans l’ombre de la lumière

Au Louvre-Lens, il y a tout ce qui se voit. Et puis ce qui tient d’une certaine forme de magie. Un exemple  ? Avez-vous déjà compris d’où vient la lumière qui éclaire les œuvres  ? Nous, non. Grégory Mortelette a accepté de lever une partie du voile. Et c’est simplement stupéfiant.

Journaliste
Temps de lecture: 5 min

Y a-t-il métier plus paradoxal au Louvre-Lens ? Grégory Mortelette est l’homme de la lumière. Une lumière qui doit mettre en valeur les œuvres du musée, servir leur identité autant que l’intention des commissaires d’exposition. Mais aussi rendre la visite agréable au public. Le tout, sans que l’on ait conscience de la présence du dispositif d’éclairage. Un jeu de technique ultra-maîtrisée. Mais d’équilibriste aussi.

Sur chaque exposition, son approche va du général, pour aboutir, progressivement, à chaque œuvre. Il explique : « Nous travaillons avec le scénographe sur les grandes ambiances. C’est-à-dire : que raconte-t-on ? Quelle ambiance générale veut-on au sein de l’exposition en général et ensuite salle par salle ? Et ensuite, œuvre par œuvre ? » Le tout avec un maître mot : la fluidité.

Un ennemi redoutable

« On regarde si on est dans quelque chose de très contemporain et donc de très lumineux. Ou si au contraire, on est dans quelque chose de plus intime, de dramatisé, ou pas. » Autant de questions qui vont déterminer les types et les angles d’éclairage. Avec des écueils. Celui du vernis recouvrant chaque tableau n’est pas le moindre. « C’est notre plus grand ennemi. Cela joue sur le niveau de réflexion. Et donc la question des angles d’éclairage », tranche Grégory Mortelette.

Il illustre la complexité de son travail par deux exemples tirés de Soleils Noirs  : le vaste portrait de Beethoven et la grande statue de Rodin. « Le portrait de Beethoven, qui est un très grand format, est très très sombre. On a passé du temps dessus, car on s’est posé la question du traitement. La salle est volontairement assez sombre. Mais pas lugubre. Et cette œuvre est gigantesque. On devine assez peu ce qui s’y passe. Et au final, une œuvre sombre doit le rester. »

Grégory Mortelette explique : «Le vernis est notre plus grand ennemi. C’est la découverte à chaque œuvre, même s’il y a un gros de travail de préparation en amont.» Exemple Avec «La sonate au clair de lune», tableau monumental signé Benjamin-Constant et dédié à Beethoven en début d’exposition.
Grégory Mortelette explique : «Le vernis est notre plus grand ennemi. C’est la découverte à chaque œuvre, même s’il y a un gros de travail de préparation en amont.» Exemple Avec «La sonate au clair de lune», tableau monumental signé Benjamin-Constant et dédié à Beethoven en début d’exposition.

Grégory Mortelette doit aussi prendre en compte l’éclairage zénithal arrivant de l’extérieur, voulu par l’architecte du Louvre-Lens. (Photo Frédéric Iovino)
Grégory Mortelette doit aussi prendre en compte l’éclairage zénithal arrivant de l’extérieur, voulu par l’architecte du Louvre-Lens. (Photo Frédéric Iovino)

Un travail de magicien

Autre casse-tête avec le Rodin : « Le personnage est écrasé par le soleil. Mais on a passé du temps à chercher l’angle qu’il nous fallait. La sculpture est un objet en trois dimensions, autour duquel le visiteur va tourner. Donc tous les points de vue doivent être pertinents. Et il faut un parti pris narratif. On peut décider d’avoir un grand bain de lumière. Donc pas d’ombre. Quelque chose de très lumineux, où l’œuvre ne sera pas dramatisée. Ou à l’inverse et c’est ce qu’on a fait ici, c’est la dramatiser. L’objectif était de sentir la source lumineuse qui écrasait l’épaule et le cou du personnage. Donc a cherché l’angle exact. Après, il a fallu gérer l’ombre portée.  » Le résultat est au rendez-vous. Certains amateurs ont tourné pas mal de temps pour tenter de comprendre comment la lumière donnait du mystère et une tension dramatique à ce chef-d’œuvre absolu.

Œuvre saisissante, «La grande ombre» de Rodin est l’une des 200 figures commandées par l’État français à Auguste Rodin en 1880 pour «La porte de l’enfer». Un projet jamais terminé, inspiré de L’Enfer, tiré de «La Divine comédie» de Dante.
Œuvre saisissante, «La grande ombre» de Rodin est l’une des 200 figures commandées par l’État français à Auguste Rodin en 1880 pour «La porte de l’enfer». Un projet jamais terminé, inspiré de L’Enfer, tiré de «La Divine comédie» de Dante.

L’éclairage des vitrines est une autre gymnastique, confinant à une forme d’art dans l’art, même si Grégory Mortelette s’en défend. Ainsi, lui et son équipe ont-ils réussi, lors de l’exposition Mésopotamie, à donner de la poésie et de l’émotion à des tablettes cunéiformes qui, loin d’être des œuvres d’art, sont les témoins de lointains outils de calcul et de commerce.

La démarche d’éclairage est encore plus bluffante de subtilité lorsque l’on regarde l’ambiance générale d’une exposition comme Soleils Noirs. Là, les mots de Grégory Mortelette sonnent presque comme ceux d’un magicien qui dévoilerait un de ses bons tours : « On part de quelque chose de très sombre, pour arriver dans quelque chose de très clair, de contemporain. C’est donc un cheminement qui doit se faire de manière fluide. Sans que les visiteurs n’en prennent conscience. » Lorsqu’on a vu Soleils Noirs, on ne peut que s’exclamer comme ce vieux détective « : « Mais bon sang ! Mais c’est bien sûr !  »

L’Empire des Roses

L’exposition L’Empire des Roses est, avec Soleils Noirs, un des souvenirs forts de Gérgory Mortelette.
L’exposition L’Empire des Roses est, avec Soleils Noirs, un des souvenirs forts de Gérgory Mortelette.

Enfin, tout comme son collègue scénographe, Mathis Boucher, Grégory Mortelette gardera comme un trésor le souvenir du travail mené sous la direction artistique de Christian Lacroix, lors de l’exposition l’Empire des Roses. « C’est un personnage avec une vision », résume-t-il. Il continue : « Les besoins et les priorités de chacun, tout a été synthétisé. Là, on sent vraiment le talent. Ça a été une leçon. Dans le choix des couleurs, dans la façon dont on a échangé sur ce à quoi les salles devaient ressembler. On est allé assez loin. »

Soleils Noirs restera aussi gravé dans sa mémoire. « Cela reste une expo très particulière. Pour ce qu’elle raconte bien sûr. Et puis parce qu’éclairer le noir, par essence, il y a un enjeu, quelque chose d’assez étourdissant. Et la façon dont elle a été montée. On s’est arrêté au bout d’une semaine d’accrochage en raison du confinement. L’expo est restée en chantier. Et on a attendu, sans savoir ce qu’elle allait devenir. Et puis on a découvert, presque du jour au lendemain, que le projet reprenait. Ça a été une expérience assez étrange. D’autant que le projet a finalement été confirmé et même prolongé. Ça a eu un côté ascenseur émotionnel. (…) C’est une très belle exposition, avec de très très belles œuvres. »