Franck Thilliez raconte la naissance de Sharko
C’est parti pour le premier de nos sept rendez-vous de la semaine avec Franck Thilliez, avant la sortie de son nouveau roman, 1991. Aujourd’hui, il nous raconte comment est né Franck Sharko, flic de la PJ de Paris.


Un nouveau duo de légende tourbillonne dans le vaste tango exécuté par les couples célèbres de la littérature policière.
Agatha Christie et Hercule Poirot, Sir Arthur Conan Doyle et Sherlock Holmes, Maurice Leblanc et Arsène Lupin, Gaston Leroux et Joseph Rouletabille sont définitivement rejoints par Franck Thilliez et Franck Sharko.
Tout a commencé dans un Train d’enfer…
Depuis Train d’enfer pour Ange rouge paru à l’aube des années 2 000, le flic cabossé mais inébranlable du 36 Quai des Orfèvres revient régulièrement marquer de sa silhouette et presque de son odeur animale les thrillers du prolifique auteur artésien.
Lorsqu’il se retourne sur les presque vingt ans le séparant de la première apparition de Sharko, Franck Thilliez a l’œil qui pétille. Dès qu'il se met à parler, c’est comme si c’était hier. S’il a de la tendresse, voire de la fraternité pour son protagoniste fétiche, dire qu’il ne l’épargne pas au cours de ses enquêtes relève de la litote. Dans Le Syndrome E , il le place aux portes de la folie ; dans Sharko, il l’accule à l’inhumanité pour sauver celle qu’il aime ; ailleurs, il lui présente le seuil de la mort. Une mort omniprésente qui n’épargne pas son entourage et qui le percute sans relâche, tel un ressac marin frappant encore et encore sur un granit qui, avec le temps, finira par s’éroder.
« Dans mes livres, les personnages principaux peuvent mourir »
Franck Thilliez concède, presque iconoclaste vis-à-vis de son héros qui entre petit à petit dans la légende : « Dans mes livres, il peut arriver le pire aux personnages principaux. Ils peuvent mourir. C’est pour cela que les lecteurs ont toujours peur pour Sharko. Parce qu’ils savent que je suis capable d’aller au bout. »
Franck Thilliez se met à table
Sympa le créateur. Mais au fait, au commencement, d’où sort Franck Sharko, ce flic qui passe systématiquement son vieux costume gris anthracite lorsqu’il boucle une grande affaire ? De l’imagination de Mister Thilliez répondrez-vous. Certes. Mais encore ?
Franck Thilliez se met à table : « Sharko est né quand j’ai écrit Train d’enfer pour Ange rouge (NDLR : sorti en 2003). Je me suis dit : je vais écrire une vraie histoire policière. Donc il me faut un personnage de flic. Forcément. Là, je me suis demandé comment on créait un personnage qui allait porter une histoire. Sharko est né d’un mélange de tous les flics qui existaient déjà – Hercule Poirot, Maigret, Sherlock Holmes…- que j’avais en tête. Et en même temps, il ne fallait pas qu’il ressemble à ces personnages-là. Je ne voulais pas non plus qu’il soit dans le stéréotype du flic qu’on avait à l’époque : dépressif, alcoolique… Il fallait qu’il soit très proche de la vie. Et en même temps, que j’y mette un peu de moi-même. Quand on réfléchit à tout cela en même temps, on se dit : comment je fais ? »
Et la lumière fut
Quelques nœuds dans la tête plus tard, l’or jaillit du plomb originel : « J’ai créé Sharko en me disant que sa caractéristique principale devait-être ce que je connaissais le mieux. C’est-à-dire un personnage très humain et très proche de ce qu’on est dans la vraie vie. Je crois que c’est son humanité qui aujourd’hui fait sa différence. C’est comme ça qu’il est né, avec une obsession qui est aussi un peu la mienne, de comprendre pourquoi des gens en tuent d’autres ; pourquoi il y a des actes horribles que sont les crimes. Donc je me suis dit que ça allait être son moteur. Et dans le trait noir. Parce que c’était le genre que j’aimais. Donc Sharko est né dans une espèce d’histoire horrible qu’était Train d’enfer pour Ange rouge, histoire de meurtres en série. »
Un héros qui vieillit
Un autre trait, physique celui-là, distingue Sharko de beaucoup d’autres héros récurrents. Il vieillit. Un peu comme le faisait GIR en bande dessinée, avec le cow-boy Blueberry.
Ainsi, aujourd’hui, Sharko a-t-il soixante ans. Franck Thilliez s’en explique : « Il est ancré dans la réalité. Les livres parlent de problématiques d’aujourd’hui et se passent à des époques très précises. On le voit par exemple dans Luca. Avant, le siège de la PJ parisienne, c’était le 36 Quai des Orfèvres. Après, c’est le Bastion. Ils ont vraiment déménagé. Donc forcément, le policier vieillit aussi. Ce n’est pas des histoires indépendantes les unes des autres. Chez moi, c’est feuilletonnant, au sens où les personnages vivent avec leur temps et vieillissent en même temps que nous. C’est ce qui rend aussi les lecteurs très accros à Sharko. Parce que depuis quinze ans ils le suivent. Ils l'ont connu plus jeune. Et eux aussi étaient plus jeunes. Ils vieillissent en même temps. Ça rend le personnage encore plus proche de soi. Alors soixante ans, ça peut paraître âgé pour ceux qui le découvrent dans les derniers romans. Mais Sharko, c’est surout des gens qui le suivent. » C’est d’ailleurs cette démarche qui fait tout le sel de 1991, puisqu’on croisera un Sharko âgé de 30 ans.
Mais d’où vient son nom ?
Genèse, âge… Il reste un mystère à lever. Comment le nom de Franck Sharko a-t-il été forgé ?
Là encore, parole au créateur : « Je voulais qu’il paraisse comme un personnage très dur. Un roc à l’extérieur, mais abîmé à l’intérieur. Et donc je me suis dit : dans son identité, il faut que ça sonne très rugueux. Quand on prononce son prénom déjà. Mon propre prénom, qui est Franck, quand on le prononce, il y a beaucoup de consonnes. C’est rugueux je trouve. Donc je me suis dit que quitte à donner un prénom, autant donner le mien. Ça marche bien. Et puis Sharko, c’est pareil. Le « che », ça accroche. Et surtout dans le nom, il y a le shark, qui est le requin en anglais. C’est un peu l’effigie du personnage. Donc le shark, le requin, qui est un prédateur absolu. Quand il se met à traquer une proie, il ne la lâche plus. C’est un peu ça Sharko. C’est le requin pour un criminel. Une fois qu’il est sur un cas, il va aller jusqu’au bout de ses forces pour le traquer. C’est ça les origines de ce nom. C’est un bon nom. Dans 1991, ils se mettent à l’appeler Shark. D’un seul coup, il y en a un qui l’appelle Shark, comme ça. Ils se donnent tous des diminutifs, des surnoms. Et lui, pas besoin d’inventer. Shark, ça marche bien d’entrée de jeu. »