Docteur Thilliez et Mister Sharko
J-3 avant la sortie de 1991, le nouveau roman de Franck Thilliez. Une histoire où l’on va découvrir les premiers pas de Sharko au sein de la PJ parisienne, au 36 quai des Orfèvres. Dans notre épisode du jour, le romancier dévoile son côté sombre.


Dans le monde de la chanson, il y a eu Gainsbourg et Gainsbar. Ou encore docteur Renaud et mister Renard. Dans la littérature, tout le monde connaît les incontournables docteur Jekyll et mister Hyde. De la même manière, y a-t-il un tandem docteur Thilliez et mister Sharko ?
La question fait sourire Franck Thilliez. Sharko et lui, c’est une histoire de plus de quinze ans. Mais il faut voir dans son héros fétiche un peu plus qu’un personnage de roman dont la seule raison d’être serait de tenir le lecteur en haleine. Et c’est bien cela qui fait sourire Franck Thilliez. « C’est un ami… »
Et puis, l’auteur artésien confie : « Quand j’imagine le personnage, c’est mon conscient ou mon inconscient qui le crée. Donc il y a forcément un peu de soi. »
Quand la noirceur de l’âme infuse dans la créature…
Déjà un aveu en soi. Derrière le créateur, se cache bien un démon, dont la noirceur d’âme infuse dans sa créature. Franck Thilliez confesse : « Un personnage, c’est une projection de qui on pourrait être. Sharko, c’est un peu l’œil que j’aimerais mettre dans les serrures. Il va là où finalement j’aimerais aller. Sans oser l’avouer. C’est-à-dire qu’il est confronté au pire de l’humanité… » Et c’est peu dire. Corps torturés, mutilés, horreur indicible qui, sans être puisée dans un fait divers en particulier, rappelle combien cette rubrique peut charrier son lot de monstruosités.
Une violence ultime qui choque Franck Thilliez. « Je n’aime pas la violence. Dans la vraie vie, je suis quelqu’un de tout à fait normal. J’ai une existence complètement équilibrée. Mais quand je suis dans mes histoires, quand j’explore dans mes recherches ou aux côtés de policiers et que je vois cette partie terrible de la société, quelque part il y a une petite étincelle pour aller voir et essayer de comprendre ce qu’il se passe. »
« Découvrir un crime comme dans Le Silence des agneaux »
Dans cette tentative de compréhension, son sésame est donc le flic qu’il a créé. Et nous revoici face au couple Thilliez-Sharko. Comme sa chose, Franck Thilliez aurait peut-être aimé « avoir un jour l’opportunité de traquer un criminel et de découvrir une scène de crime, comme dans Le Silence des agneaux. Un truc terrible et de me demander qui a été capable d’accomplir une telle monstruosité. Il y a quelque chose d’horrible et en même temps de très intéressant de traquer ce genre de personnage. (…) Sharko vit des histoires d’adrénaline que j’aimerais peut-être vivre. Dans ce fantasme-là, on est un peu dans le Docteur Thilliez et Sharko Hyde. Ma partie inconsciente aimerait bien aller explorer ce pan de la société. Ce que je ne peux faire que par de la documentation. »
Au gré des jeux du marionnettiste
Ça, c’est pour la version gentille. Et puis, il y a un autre jeu qui s’instaure entre le Franck Thilliez à la ville et le Franck Thilliez romancier. Là, non seulement la créature est une extension de son créateur. Mais elle devient surtout un être appelé à souffrir, à se battre, à surmonter des situations terribles, au gré des jeux de son marionnettiste. Les plus pénétrés de textes bibliques ne pourront s’empêcher de penser au pauvre Job. Les plus rompus à la dramaturgie n’y verront qu’un mécanisme souhaitable.
Pour autant, Franck Thilliez assume le côté un brin pervers de l’auteur. « Il y a peut-être Hyde Sharko, mais il y a aussi Hyde l’écrivain. Il y a une espèce de rupture quand je suis dans mon salon, dans ma vie normale et quand je me mets à écrire. Je me mets dans une bulle où je suis capable de malmener mes personnages humainement, d’aller très loin avec eux. Alors qu’en fait Sharko, pour moi, c’est comme un ami. ».
Mais il y a un mais… « Quand je suis dans ma bulle d’écrivain, je n’hésite pas à le torturer, parce que c’est ce qui va faire ressortir la force du personnage. C’est un peu son destin. C’est-à-dire, et c’est terrible, que c’est un personnage destiné toute sa vie à traquer des criminels, à souffrir à travers ses enquêtes. Ça, c’est vraiment l’aspect schizophrénique, Jekyll et Hyde de l’écrivain, c’est-à-dire de basculer d’une vie normale à celle de bourreau de personnages. Et d’éprouver étrangement du plaisir à les faire souffrir, parce que je sais que ça va ressortir en quelque chose de très positif pour les lecteurs. »
Plaisir coupable
Et pour cause. Quel lecteur n’éprouve pas ce plaisir coupable de suivre avidement, page après page, un personnage avançant toujours un peu plus vers le pire ? Avec, en plus, chez Franck Thilliez, cette vraie peur de voir un de ses héros ne pas se relever.
L’auteur confesse : « Ça rajoute une crainte bénéfique pour le livre. Cette peur qu’on peut ressentir est quelque chose de très positif quand on lit le roman. Ça accroche à l’histoire. » Bref, la face sombre du romancier est probablement ce qui donne sa puissance à un livre. Au petit jeu du dédoublement de personnalité, Franck Thilliez ne donne pas sa part aux chiens. D’ailleurs, en parlant de chiens, il est également capable d’infliger le pire aux animaux. On se souviendra du chat rongé par des sangsues dans Sharko. « J’adore les animaux ! » Rassure-t-il. Avant d’ajouter aussitôt : « Mais ce qui est bizarre, c’est que je les malmène dans mes livres. C’est un peu la dualité. »
Délicieusement troublant. Comment ne pas se dire, alors, que s’il y a bien du docteur Thilliez et du mister Sharko, dans toute cette affaire, il y a surtout du Franck Jekyll et du Hyde Thilliez.