Franck Thilliez démonte les ressorts de sa créativité
La peur de la page blanche ne semble pas l’habiter. Chaque année, avec une régularité métronomique, Franck Thilliez sort un nouveau roman. C’est encore le cas le 6 mai avec 1991. L’inspiration est-elle une ressource sans limites ? Peut-être pas. Mais notre homme a un truc pour fertiliser son imaginaire en permanence.


Conscience animale ; Train d’enfer pour Ange Rouge ; Atomka ; Puzzle ; Gataca ; Le Syndrome E ; Sharko ; Le manuscrit inachevé ; Luca, Il était deux fois ; Pandémia…
Impossible de citer d’un trait les 21 romans de Franck Thilliez. Exercice d’autant plus difficile que pour rendre un juste hommage à son travail, il s’avérerait maladroit d’oublier ses nouvelles, ainsi que ses scénarios pour la bande dessinée et pour l’univers des séries.
Mais d’où lui vient cette inspiration semblant sans limites ? Tel Faust, Franck Thilliez a-t-il passé un pacte avec le Diable afin d’assurer sa créativité ad vitam aeternam ? Plus prosaïquement, cache-t-il un truc de magicien ?
« L’inspiration est quelque chose de très compliqué »
Sur la question, il n’y va pas par quatre chemins. «L’inspiration est quelque chose de très compliqué. Ce qui est sûr, c’est que ça ne vient pas en restant passif. » Autrement dit, si vous envisagez un jour d’écrire des histoires et que vous pointez dans la catégorie des poètes disparus taquinant la muse en dilettante, peu de chances d’arriver à quelque chose. L’art d’écrire passe par une pratique quotidienne au cours de laquelle, comme un navigateur le ferait de ses voiles, l’auteur oriente son esprit afin d’attraper le vent de l’imaginaire soufflant les idées, matière première ne venant pas de nulle part.
Un univers bien à lui
Aurait-il fourni la même réponse lors de la rédaction de ses deux premiers livres ? Pas sûr. « Les premiers romans, ce sont des choses que j’ai extraites de moi, parce que c’était une accumulation de tous les films d’horreur que j’avais vus. Et puis à moment donné, ça, c’est vidé. Au bout de deux livres, je n’avais plus rien à sortir. Donc il fallait aller chercher les histoires à l’extérieur. »
Ayant compris que les idées venaient en exerçant sa curiosité, Franck Thilliez s’adonne sans relâche à des lectures, à des recherches sur le monde policier. Sur l’univers scientifique aussi. Son domaine de prédilection. « Le cerveau, la mémoire, la psychologie… Je fouine beaucoup à la recherche de sujets ou de cas qui puissent susciter des histoires. Le travail de recherche, c’est aussi les lectures, les reportages… »
En bon illusionniste, il ne dévoile pas tous ses trucs. Mais il y a fort à parier qu’il applique ce qui est un jeu pour les enfants et qui est un mécanisme de pensée pour les auteurs : « Et si… » Le fameux « what if… » anglo-saxon. La preuve ? L’idée de La chambre des morts, un de ses premiers romans, est née sur ce mode. « C’est venu d’un lieu. Dans la zone industrielle de Dunkerque où je travaillais. Je me disais : mais s’il y avait un accident en pleine nuit, qu’est-ce qui se passerait ? »
Une première idée qui devient une obsession
Un lieu, un personnage, un fait scientifique rarissime… L’inspiration de Franck Thilliez se déclenche à partir de ce qu’il nomme un point d’accroche. « C’est comme une obsession. Il faut que ça démarre comme ça. Je pars de ce point-là, en disant : je vais essayer de tout faire découler de cette première idée. Et je la fais grossir au fur et à mesure. »
Il ajoute : « Quand je recherche une idée, je regarde tout, je cherche les moyens d’en faire des histoires. Il faut un point de départ. C’est typiquement ça dans Il était deux fois. Perdre la mémoire et oublier douze ans de sa vie, c’est venu de là. Parce que ce genre de cas existe. Mais c’est romanesque. Donc là, je prends un personnage dans cette situation et je construis mon histoire autour. »
« Une idée doit venir au bon moment »
Pour imaginer les enlèvements et les crimes, reproduit-il des choses déjà survenues ? « Je ne m’inspire jamais directement des faits divers. Mes histoires sont complètement inventées. Ceci dit, les mécanismes meurtriers sont tellement complexes… Prenez l’affaire de Ligonès par exemple. (…) Des gens sont capables d’aller très loin. »
Enfin, preuve s’il en était besoin que le créateur doit éviter de tomber amoureux de sa première inspiration, mais au contraire la travailler et se montrer patient, pour en sortir le potentiel qu’elle renferme, le travail est là encore la clé. « Une idée doit venir au bon moment », glisse Franck Thilliez. « Quand je cherche des idées, des fois ce à quoi je pense ne va pas m’inspirer. Et puis au fil du temps, je me dis que telle chose est intéressante et ça devient la bonne idée parce que c’est le bon moment. »