« Le Confiné de 14-18 » : quand l’acteur boulonnais Renaud Hézèques interprète un Douaisien qui résistait dans l’ombre


Renaud Hézèques est un comédien et acteur, originaire de Boulogne-sur-Mer. Pour la première fois, il joue le rôle principal d’un docu-fiction, Le Confiné de 14-18, sorti le 11 novembre sur Planète+ et désormais disponible sur My Canal, en replay. Rencontre avec celui qui nous parle de sa passion et de ses réussites.
Présentez-vous.
J’ai un parcours un peu particulier parce qu’avant d’être comédien, j’étais ingénieur en informatique. J’ai commencé le théâtre parce que j’étais assez introverti et, dans mon métier, je devais animer des réunions, faire des présentations, etc. Et ça me terrorisait un peu. Le théâtre m’a effectivement aidé et, surtout, ça a été un gros coup de foudre ! Je me suis vraiment senti à ma place. C’est un super exutoire. Et je trouvais ça génial de pouvoir dire et faire tout ce que l’on veut car ce n’était pas nous, mais le personnage ! Donc, j’ai fait de plus en plus de théâtre et le Conservatoire de Lille.
Où avez-vous joué ?
J’ai fait pas mal de théâtre en amateur au départ, dès 2012. J’ai joué au Théâtre de l’Échange, à Boulogne-sur-Mer, avec Philippe Harbart et Pascal Chivet. J’en ai fait au Rollmops Théâtre, avec Laurent Cappe. Au début, je ne voulais pas spécialement en faire mon métier, mais j’ai eu un souci de santé qui m’a fait voir les choses et la vie autrement. Et je me suis dit : « Allez, on fonce, il n’y a pas de temps à perdre. » J’ai donc laissé de côté mon métier d’ingénieur pour me consacrer à ma passion. Je suis professionnel depuis 2018. Et aujourd’hui, j’essaye de plus en plus d’aller vers l’audiovisuel. J’ai commencé en 2019 avec la série Paris Police 1900, dans le rôle d’un inspecteur ripou et antisémite… Un amour, quoi [rires]. C’était hyper intéressant à jouer ! Et depuis, je tourne beaucoup. Il y a beaucoup de tournages dans la région. Ça m’a permis d’avoir un agent à Paris, Gauthier Martin.
Le théâtre, pour un introverti, c’est génial ?
Oui ! On apprend plein de choses : sur comment parler en public forcément, comment se tenir, ce qu’il faut faire, pas faire, la technique aussi, comment on porte la voix, comment on articule, etc. Mais tout ça dans le cadre d’un texte, d’un personnage. Et moi, en tant qu’introverti, ça m’a vachement aidé, parce que tout était permis car c’était pour le personnage. Et en fait, sans qu’on ne s’en rende compte, ça nous sert pour la vie de tous les jours.
Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier, finalement ?
Ce que j’aime, c’est que ça change et ça bouge tout le temps. On rencontre aussi énormément de personnes. Mon métier, c’est de jouer, c’est génial ! Et quand je fais bien mon métier, en général, on m’applaudit. C’est ouf, il n’y a que dans ce métier-là que ça arrive ! Et c’est aussi se fondre dans la peau de personnages différents, pouvoir les incarner, chercher en soi ce que ça raconte, se questionner soi-même… Il faut vraiment apprendre à devenir ce personnage.
Même pour incarner un méchant ?
Ce qui est intéressant, justement, c’est comment je vais chercher en moi des choses de ce personnage qui est à l’opposé de moi, pour me rattacher à lui. Parce qu’il faut toujours qu’il y ait une part de nous dans tous les personnages. C’est pour cela qu’on peut jouer des pièces de théâtre depuis des centaines d’années. C’est toujours nouveau parce que ce ne sont pas les mêmes acteurs, qu’ils n’ont pas les mêmes metteurs en scène et que ça s’incarne autrement.
Y a-t-il une grande différence entre le théâtre et le cinéma ?
Oui, c’est vraiment deux facettes différentes du métier. Le théâtre, c’est beaucoup plus technique parce qu’il faut être compris par des personnes qui sont très loin de nous. Il y a des techniques pour porter la voix, l’articulation, les gestes aussi qui vont être plus amples. Et on n’a qu’une prise ! Au théâtre, on a la réaction du public en direct. Donc, ça nous booste, ça change d’un soir à l’autre. Et c’est toujours de l’instant présent.
Au cinéma, c’est différent. C’est une autre technique, on a plus de contraintes. Il faut regarder là à tel moment, il faut s’arrêter là à tel moment. On a des marquages au sol, mais tout ça en faisant comme si tout était naturel et rien n’était calculé. Et c’est un jeu beaucoup plus réaliste, plus intimiste. On doit retrouver le naturel qu’on peut avoir dans la vie de tous les jours, mais avec une caméra en face de soi, qui peut totalement nous perturber.
Parlez-nous de ce docu-fiction, Le Confiné de 14-18, dont vous incarnez le personnage principal, pour la première fois ?
Le Confiné de 14-18 raconte l’histoire d’un postier douaisien, Achille Bourgin, qui, pendant la Première Guerre mondiale, n’est pas parti au front puisqu’il a été réformé pour cause de problèmes de santé, de soupçons de tuberculose. Il est donc resté à Douai, sauf que la ville était occupée par les Allemands. De ce fait, il aurait dû être recensé et, comme tous les hommes de son âge, de la trentaine, il aurait dû faire du travail forcé pour l’occupant. Mais pour lui, c’était impensable, parce que travailler pour eux, c’était fabriquer des armes pour tuer ses compatriotes, c’était de la collaboration. Donc, il a décidé d’être prisonnier volontaire, comme il dit, dans le grenier de ses parents, pour échapper au recensement. Et l’action qu’il a voulu faire, c’est de tout consigner dans des journaux. C’est-à-dire que tous les jours, pendant quatre ans, il a écrit dans son journal ce qu’il se passait dans la ville, ses ressentis, les nouvelles interdictions des Allemands qui étaient de plus en plus loufoques… Mais au sortir de la guerre, c’était gloire aux Poilus... Il s’est alors dit que ses écrits n’allaient pas être lus, ni compris. Donc, il a rangé ça chez lui.
Comment ces documents ont été retrouvés ?
Ils ont été découverts cent ans plus tard, en 2018, chez Emmaüs. Parce que le petit-fils, ou l’arrière-petit-fils d’Achille Bourgin, a vidé la maison de son grand-père. Et comme c’était un collectionneur, il y avait énormément de choses, donc la famille n’avait pas le temps de trier et a tout donné à Emmaüs. Et c’est un compagnon d’Emmaüs qui est tombé sur ces carnets, qui les a feuilletés et qui s’est dit que ça avait l’air précieux. Après des recherches, ils ont retrouvé ses descendants, qui n’étaient absolument pas au courant de ce trésor, parce qu’Achille n’en avait jamais parlé. C’est une belle histoire ! Il y a eu un article dans Le Parisien et ça a tout de suite intéressé Catherine Lopez et Tamara Setton, les productrices du documentaire, et elles en ont parlé à Frédéric Monteil, le réalisateur, qui a trouvé que c’était une idée géniale. Par ailleurs, ils ont vraiment joué le jeu de tourner à Douai. Ils ont pris une équipe technique majoritairement du Nord et des comédiens 100 % du Nord aussi. Le docu-fiction retrace ainsi ces quatre années. C’est mêlé avec de vraies images d’archives de l’époque de Douai sous l’occupation.
Comment définirez-vous Achille Bourgin ?
Il avait beaucoup de rage en lui. Rage contre l’ennemi, contre l’occupation. Il parle de la France occupée, ce qui est un peu méconnu puisqu’on parle beaucoup des Poilus, etc. En fait, c’était un habitant lambda qui vivait l’occupation et toutes ces interdictions. Il raconte à quel point ça a été dur, le rationnement, il décrit comment les gens maigrissaient à vue d’œil au fur et à mesure des mois et des années. Et aussi comment les Français sous l’occupation étaient vus par les Français qui n’étaient pas sous l’occupation. Ils étaient appelés « les Boches du Nord ». C’est une appellation hyper violente qu’il a très mal vécue. C’est donc quelqu’un qui a eu beaucoup de rage en lui et qui, en même temps, avait cette volonté d’agir à sa manière pour sa patrie qu’il aimait tant.
Avez-vous réussi à rencontrer la famille d’Achille Bourgin ?
Oui, sa petite-fille. D’ailleurs, c’était un grand moment d’émotion ! Elle m’a remis aussi la vraie mallette qui a appartenu à son grand-père, que j’ai dans le docu-fiction. Je me souviens très bien de ce moment-là. J’avais l’impression d’avoir un trésor entre les mains. Et forcément, j’étais en tenue d’époque, avec la moustache, etc. Donc, elle a eu un peu l’impression de revoir son grand-père. C’était hyper émouvant pour tous les deux. Et le dernier jour du tournage, j’ai eu accès à ses carnets que j’ai pu feuilleter. C’était vraiment un moment bouleversant. D’un coup, tout prenait sens !
Vous jouez souvent des rôles d’époque ?
Oui. J’ai tourné dans Paris Police 1900 et dans La Guerre des trônes dans lequel je faisais le Marquis de Lafayette. J’ai aussi tourné dans Le Choix du pianiste qui sortira en janvier, dans lequel j’interprète un soldat allemand pendant la guerre 39-45. Ça me colle plutôt à la peau et j’aime bien. Sur les tournages, on est vraiment plongé dans une autre époque, avec les costumes, les coiffures, les décors. On a réellement la sensation de voyager dans le temps.
Vous avez aussi joué dans L’Amour Ouf !
Effectivement, je suis à l’affiche de L’Amour Ouf de Gilles Lellouche dans lequel j’ai un beaucoup plus petit rôle, celui d’un infirmier, à la toute fin du film. Mais c’était une chance incroyable de participer à ce projet de dingue, de tourner avec Gilles Lellouche, François Civil, Adèle Exarchopoulos. J’ai aussi eu la chance d’aller au festival de Cannes avec eux. Je n’ai pas monté les marches, mais j’étais invité à la projection et à la soirée avec eux derrière ! Ce sont des moments incroyables. On a l’impression d’être dans un rêve !
Avez-vous d’autres projets sur le feu ?
J’ai tourné dans deux téléfilms : « Meurtres à Douai » et « Meurtres en dentelles » aussi pour France TV, avec Jean-Marc Barr notamment, l’acteur du Grand Bleu. Et puis là, je viens d’avoir un nouveau rôle. Je l’ai su récemment, donc je ne peux pas encore dire dans quoi, mais ça sera aussi pour de la télé.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre métier ?
Le plus difficile, ce sont les moments où il ne se passe rien. D’un coup, on est pris de plein de doutes et on se demande ce qu’il se passe ? Pourquoi on ne m’appelle pas ? Pourquoi je ne fais rien ? Ça peut vraiment être des périodes assez longues. Et après, ça revient. Le but est d’en profiter justement pour travailler le réseau, pour rencontrer des gens, pour se former.
Se forme-t-on tout le temps dans ce métier ?
Oui ! On se forme en regardant des films, en voyant les autres faire, en rencontrant des réalisateurs, en faisant des ateliers avec eux, avec des directeurs de casting, des coachs. Sur un plateau, on se forme aussi en fonction des directions d’acteurs qu’on a. Moi, j’aime bien travailler avec des personnes différentes, que ce soit au théâtre ou en audiovisuel, parce que chacun va apporter quelque chose, va débloquer un truc en nous et il y en a qui vont être plus focus sur la finesse du jeu, sur le corps, sur les silences…
Et les expériences de vie sont aussi formatrices, j’imagine ?
Oui, complètement. Tout ce qu’on peut vivre. Moi, j’ai la chance d’être papa de deux petites filles et je me rends compte que ça m’impacte dans la façon dont je vais aborder certains rôles. J’ai déjà joué des rôles de papa. Et c’est beaucoup plus facile quand on est déjà père soi-même. On comprend les enjeux et l’empathie arrive beaucoup plus vite. Plus on vit des choses dans la vie de tous les jours, plus ça nourrit notre jeu d’acteur, sans même qu’on ne s’en rende compte.
Un dernier mot ?
Allez voir ce docu-fiction parce qu’il est super [rires]. Mais je voudrais aussi dire à tous ceux qui se posent la question de faire ce métier-là, qu’il n’y a qu’une façon d’y arriver : c’est d’oser. Je suis persuadé que tout est possible, pour tout métier. Je pense que si on a profondément envie de faire quelque chose, on peut le faire et qu’il n’y a personne qui nous empêchera de le faire. On peut nous dire que ce n’est pas fait pour nous, mais si au fond de nous, nous sommes convaincus que c’est fait pour nous, alors il faut y aller, il faut foncer et ça va le faire !